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De chief Executive Officer à Chief Ecosystem Officer : Comment passer de l'exigence de performance à la création d'espaces de collaboration fertiles ?

Sarah Bruzzese
7/10/2024
Interview
Antoine DENOIX
CEO, AXA CLIMATE
Dialogue avec des dirigeants à impact
Nous sommes convaincus que l'émergence d'idées innovantes provient des connexions établies entre des mondes ou des personnes qui ne communiquent pas habituellement. 


Bonjour Antoine, peux-tu en quelques mots te présenter et présenter AXA Climate ?

Je m'appelle Antoine Denoix et je suis le CEO d'Axa Climate, une entité d'Axa que nous avons lancée en 2018. Notre mission principale est d'assister les secteurs public et privé dans leur adaptation aux défis climatiques et environnementaux. L'adaptation constitue véritablement le cœur de notre entreprise. Pour atteindre cet objectif, nous avons développé cinq domaines d'activité : l'assurance, le conseil, la formation, le développement de logiciels, ainsi qu'une initiative de leadership axée sur les pratiques régénératives. Ces activités nous permettent de soutenir principalement les grandes entreprises dans leur processus d'adaptation. Nous comptons environ 200 collaborateurs, dont un bon tiers est constitué de scientifiques, et la majorité de notre équipe est basée en France.

En tant que CEO, j'aime me définir comme Chief Ecosystem Officer, car cela met en avant un aspect particulier du leadership : celui de l'influence indirecte. Mon rôle ne se limite pas à générer de bonnes idées de produits ou à développer des concepts commerciaux classiques. Il s'étend plutôt à l'accompagnement des ressources humaines et à la promotion d'une culture d'entreprise favorable, ce qui inclut les conditions de travail indirectes.

Cela concerne des éléments cruciaux tels que notre processus de recrutement, la manière dont nous évaluons la performance et le respect des individus pour ce qu'ils sont. Ces aspects constituent une part essentielle de ma mission.

Pourquoi le terme "écosystème" ? Parce qu'Axa Climate est en réalité un écosystème dynamique qui a donné naissance aux cinq activités que j'ai mentionnées, chacune représentant un écosystème à part entière au sein d'une idée plus vaste. Nous ne considérons pas Axa Climate comme un simple
incubateur qui se contente de financer des entreprises pour les voir croître de manière isolée. Au contraire, nous visons à faire évoluer ces entreprises tout en les maintenant en synergie. Pour moi, c'est cela, un écosystème : je grandis, tu grandis, nous grandissons. C'est dans cette interconnexion que se joue notre succès. Ainsi, l'idée d'écosystème illustre à la fois un leadership indirect et notre engagement à faire prospérer des activités tout en en lançant de nouvelles.

C’est cela, un écosystème : je grandis, tu grandis, nous grandissons. C'est dans cette interconnexion que se joue notre succès. 

Tu regardes le monde de l'entreprise d'une façon singulière et tu as réussi à finement avancer avec les règles d'un jeu bien établi. Comment parviens-tu à embarquer avec toi des personnalités très différentes que cela soit au sein d'Axa Climate ou dans les entreprises que vous accompagnez ? 

Mon rôle s'apparente à celui d'un traducteur au sein de notre système. Il est essentiel de fournir des garanties, et ces garanties reposent sur notre capacité à réaliser des actions concrètes dans la vie réelle, avec un compte de résultats (P&L) et une offre de services claire. Il est primordial de montrer que nous ne sommes pas là pour gagner de l’argent ; c'est un point fondamental.
Ainsi, il s'agit à la fois de rassurer en s'appuyant sur des indicateurs classiques tout en demeurant authentique, en évitant un discours convenu.
Chez AXA Climate, notre responsabilité consiste à émettre un signal fort au sein du système AXA, démontrant qu'il existe d'autres façons de faire les choses. Une grande part de l'attention que je reçois découle du fait que j'appartiens à AXA, et je n'en fais pas mystère. La discussion autour du régénératif et d'une culture alternative prend tout son sens grâce à ma position au cœur de ce système, d'où je peux transmettre ce message de manière significative.
J'éprouve une profonde reconnaissance pour AXA et pour cette grande entreprise qui, depuis 100 à 150 ans en France, n'est pas là par hasard. Toutefois, honorer cette institution signifie contribuer à son évolution.

Nous partons du principe que nous sommes tous dans le même bateau et que chaque contribution est interconnectée. 

L'organisation d'Axa Climate fonctionne sur la base de rituels pour certains inspirés du vivant, peux-tu nous en parler plus précisément ?  Penses-tu possible de répliquer ce modèle dans des organisations plus grandes et déjà structurées ? 

Chez AXA Climate, notre défi consiste à établir des modes de décision qui favorisent l'émergence des idées et des initiatives. Cela signifie éviter d'entraver le quotidien des employés avec des structures organisationnelles rigides, qui peuvent donner une impression de fonctionnement mécanique.
Dès le départ, nous avons choisi de déconstruire la relation traditionnelle entre manager et collaborateurs. Dans une entreprise classique, le manager détient un pouvoir considérable sur les membres de son équipe, notamment en matière de rémunération, de performance et d'évolution de carrière. Lorsqu'une situation ne se déroule pas bien, il est fréquent que l'employé se voie contraint de quitter l'entreprise. Nous avons donc remis en question ce modèle.
À la place, nous avons introduit un rôle différent pour les managers, que nous appelons " domain leaders". Nous en avons environ soixante chez AXA Climate, et leur responsabilité est de garantir que nous fournissons ce que nous devons à nos clients, que ce soit en conseil, en formation ou en produits.
Cependant, toutes les questions relatives à la rémunération, à la performance et à l'évolution de carrière, ainsi que la liberté pour un collaborateur de choisir son rôle au sein de l'entreprise, relèvent d'une approche collective. Par exemple, en ce qui concerne la rémunération, nous ne nous basons pas sur la performance individuelle à la fin de l'année, car nous considérons qu'elle est multifactorielle. Il est donc compliqué de quantifier la performance selon des indicateurs précis. Nous partons du principe que nous sommes tous dans le même bateau et que chaque contribution est interconnectée.

Ainsi, nous croyons que la performance individuelle doit être évaluée différemment, indépendamment de la rémunération. Lorsqu'il s'agit d'augmentations, la question posée n'est pas "as-tu bien performé ?", mais plutôt "sur quoi as-tu progressé et quelles nouvelles compétences as-tu acquises ?".
Nous avons donc véritablement dissocié le monde des compétences de celui de la performance, ce qui n'est pas une tâche facile.
De plus, nous sommes convaincus que l'émergence d'idées innovantes provient des connexions établies entre des mondes ou des personnes qui ne communiquent pas habituellement. Pour encourager cela, nous avons instauré un rituel hebdomadaire de trente minutes durant lequel chaque collaborateur est associé par tirage au sort à un autre collègue, sans forcément tenir compte de leur domaine d'activité. Ce moment est conçu pour créer des connexions authentiques et favoriser un effet papillon positif pour le business. Si nous utilisons toujours les mêmes ingrédients, nous obtiendrons les mêmes résultats. C'est pourquoi ce rituel est essentiel pour établir des liens inédits entre nos collaborateurs chaque semaine.

Lorsqu'une personne s'épanouit et réalise qu'elle peut être elle-même, elle devient beaucoup plus efficace au service de son client. 

Et cela a-t-il fait émerger, par rapport à tes autres expériences, des résultats différents ? Comment cela se traduit, au-delà du bien-être des collaborateurs, de leur épanouissement et de leur formation, en termes de performance ?

Alors oui, pour moi, les deux vont de pair. En effet, nous ne sommes pas un Club Med, et notre vocation n'est pas simplement de faire sourire les gens. C'est vraiment important de souligner cela. Business et culture sont complètement liés. Lorsqu'une personne s'épanouit et réalise qu'elle peut être elle-même, elle devient beaucoup plus efficace au service de son client. Si nous avons réussi à développer cinq nouvelles activités en seulement quatre ans, c'est parce que
nous avons cultivé une culture qui permet aux gens de se sentir autorisés. Notre dernier écosystème d'activité, axé sur les logiciels, est incarné par un collaborateur nommé Théophile, qui travaillait auparavant dans le conseil. Il est bien connu que les entreprises de conseil rêvent de créer des activités dans le domaine des logiciels, mais elles échouent souvent à le faire. Pourquoi cela ? À cause de la culture d'entreprise. Il existe des silos bien établis et un ADN propre au conseil. Théophile, en revanche, a perçu une opportunité pour le client qui pouvait se concrétiser sous la forme d'un logiciel. Progressivement, en s'éloignant de l'écosystème conseil, il a réussi à faire émerger un nouvel écosystème dédié aux logiciels, caractérisé par une culture particulière. Cette plasticité dans le mouvement des collaborateurs profite à la fois au client et au business dans son ensemble.

Un dirigeant qui a décidé d'arrêter d'apprendre, par exemple, est un très mauvais signe. Apprendre nécessite du temps et un ralentissement, ainsi qu'une volonté de faire son travail différemment. 

Je pense que l'ambition d'atteindre cet idéal peut être partagée par de nombreuses personnes. Nous sommes nombreux à avoir lu Laloux et à réfléchir sur ce sujet. Comment penses-tu qu'une entreprise, qui n'est pas née avec cet ADN, pourrait le créer en interne ?

Je pense que c'est un travail qui doit se faire à un niveau élevé. Il doit y avoir une réalisation au plus haut niveau, c'est certain, pour qu'une transformation ait lieu. S'il n'y a pas de conviction chez le dirigeant concernant la nécessité de changer cette façon de faire, de la remettre en question et de la déconstruire, cela va être compliqué. C'est difficile, car un dirigeant a souvent suivi ce qu'il considère comme un succès, et il est, d'une certaine manière, prisonnier de son modèle de réussite. Cependant, c'est le point de départ. En fait, s'il n'y a pas un dirigeant à un moment donné qui modélise autre chose, la tâche sera ardue, car le dirigeant peut être perçu comme l'ennemi de l'organisation, à la fois de manière positive et négative. Un dirigeant qui a décidé d'arrêter d'apprendre, par exemple, est un très mauvais signe. Apprendre nécessite du temps et un ralentissement, ainsi qu'une volonté de faire son travail différemment. Il y
a très peu de dirigeants qui sont réellement en phase d'apprentissage. Beaucoup d'entre eux cherchent la nouveauté sans vraiment apprendre par eux-mêmes, ce qui n'est pas facile. La gestion de cette condition de réussite repose vraiment sur le dirigeant et son rôle. Ensuite, il existe de nombreuses méthodes à appliquer. Il ne s'agit pas de faire un simple copier-coller. Par exemple, nous ne demanderions pas à l'armée de s'organiser de la même manière qu'une entreprise. Ce serait peut-être séduisant, mais je ne suis pas sûr que cela soit bénéfique pour le pays. En revanche, il est essentiel d'impliquer de véritables leaders, des responsables de business units au sein de l'entreprise, et de les coacher, de les ressourcer pour leur permettre d'incarner ces
changements, au lieu de laisser cela uniquement aux ressources humaines. Tant que les entreprises considèrent qu'il existe une séparation entre les ressources humaines et le business, nous serons en difficulté. Il est crucial qu'un leader comprenne que les ressources humaines ne sont pas seulement un risque à atténuer, mais qu'elles sont essentielles à la croissance de son business dans son ensemble.

Le sujet de la souffrance au travail est une de tes missions de vie : le modèle de l'entreprise régénérative est-il une façon d'y répondre ? Je m'interroge en effet sur les conditions de réussite en partant du constat que le pari du collectif, du sens et de la qualité de vie au travail pris dans certains autres modèles organisationnels comme le monde associatif ou celui des start-up n'a pas forcément permis de répondre à cet enjeu de l'environnement idéal de travail.

Alors après, oui, je ne sais pas ce qui fonctionne ou ce qui ne fonctionne pas. Ce dont je peux témoigner, c'est que la plupart des expériences qui se terminent mal en matière de régénératif proviennent d'une volonté de normalisation. Une startup qui nomme un chief happiness officer et qui s'exprime sur le bien-être peut être interrogée sur ce qu'elle entend par ce terme. Souvent, leur définition du bien-être est assez normée : disposer d'un baby-foot, participer à des pots
d'entreprise. Cela reflète une vision du bien-être qui, d'une certaine façon, est imposée.
Les associations adoptent également une approche similaire, souvent marquée par une certaine norme.  Pourtant, le véritable régénératif n’est pas cela. Le défi réside dans le fait de ne pas indiquer à une personne ce qui est bon pour elle, mais plutôt de créer des conditions indirectes
pour qu’elle puisse le découvrir par elle-même. Notre approche se situe ailleurs. Il s’agit de permettre à chaque collaborateur d’être lui-même au travail, en tant que citoyen, consommateur, ou proche aidant. Chacun a le droit d’être authentique, et il n’est pas réduit à son rôle professionnel.
Il existe de nombreux exemples de personnes que nous avons essayé de cantonner dans des rôles précis. Par exemple, une personne nommée François est arrivée dans une fonction de commercial senior, mais cela ne fonctionnait pas. Il a finalement trouvé sa voie par lui-même, en prenant d'autres responsabilités internes. Il vit désormais son rôle de commercial tout en ayant la liberté d'assumer d'autres tâches. Il a réussi à défaire sa fiche de poste et joue désormais plusieurs rôles différents.

Le risque auquel un dirigeant est confronté, c'est de croire qu'il incarne l'entreprise et de ne pas faire la distinction entre lui-même et celle-ci. 

Tu incarnes complètement cette vision, qu'en est-il de la survie du modèle au-delà de l'individu, si tu quittes Axa Climate, penses-tu que la culture puisse rester ? 

Alors, pas encore. Je pense qu'elle survivra, mais c'est un peu tôt pour le dire. En revanche, cela représente complètement l’enjeu du chapitre 2 pour nous. Je crois que cela dépend de plusieurs éléments. Tout d’abord, il est essentiel de clarifier notre modèle d'apprentissage. Cela implique d'expliciter tout ce que j'ai en tête et de veiller à ce que chacun puisse aussi le transmettre. Ce processus prend du temps, en réalité beaucoup de temps, car il s'agit de réussir à embarquer un plus grand nombre de personnes chez nous pour qu'elles deviennent les porte-paroles de cette vision et l'incarnent.
Nous ne sommes donc pas encore complètement arrivés à ce stade. Ensuite, il y a la question de la gouvernance. Pour une entreprise, il est crucial d’avoir une gouvernance qui protège ce type de culture. Actuellement, j'ai une structure de gouvernance assez classique en termes d'actionnariat. Je réfléchis avec AXA à la façon de pérenniser notre raison d'être et notre mission, afin de créer une stabilité à long terme. Cela permet aux gens de s'engager pleinement et de ne pas avoir le sentiment d'être sous la menace d'un nouveau manager qui pourrait tout bouleverser.
Ainsi, la pérennisation de l’aventure Climate passe également par cet enjeu de gouvernance. C’est clé pour rendre l'entreprise véritablement résiliente.
Cela va dans le sens de permettre aux collaborateurs d’avoir la capacité de participer au voyage, indépendamment de leur dirigeant. Récemment, j'ai réalisé un exercice intéressant : j'ai écrit une lettre en prenant la voix d'Axa Climate pour les collaborateurs. Cela a été une expérience cathartique pour moi en tant que dirigeant. Le risque auquel un dirigeant est confronté, c'est de croire qu'il incarne l'entreprise et de ne pas faire la distinction entre lui-même et celle-ci. Écrire à la place d'Axa Climate m'a permis de faire vivre l'entité indépendamment de ma personne, et cela m'a fait du bien. Cela m'a également amené à réfléchir à la manière dont je sers Axa Climate en tant que dirigeant. Bien que j'aie un rôle important, il est essentiel que je ne sois pas décisif dans les années à venir, car ce n'est pas bénéfique pour l'entreprise.

Il s'agit d'élaborer un véritable projet humaniste, où l'humain ne représente pas un risque, mais un potentiel. 

Le rôle de la direction des ressources humaines est stratégique pour accompagner cette ambition d'espace de collaboration fertile, comment passer de la vision du collaborateur comme un coût au collaborateur comme une finalité ? Comment la fonction RH peut-elle changer de posture et de discours pour convaincre ses parties prenantes ?

J'ai beaucoup d'empathie pour les ressources humaines et je considère que notre rôle est de les soutenir par le biais de nos formations, plutôt que de les critiquer. Cela dit, dans le système actuel, l'entreprise est souvent perçue comme une machine, où l'humain n'est qu'un rouage parmi d'autres et non le centre du projet. En outre, l'humain peut susciter de la peur en raison de son imprévisibilité. Dans des modèles d'entreprise, on privilégie généralement la prévisibilité et la modélisation, ce qui fait que l'humain est souvent considéré comme le facteur inconnu. Pour moi, il est essentiel d'introduire un peu de disruption et de reconnaître que l'entreprise est là pour l'humain. Il s'agit d'élaborer un véritable projet humaniste, où l'humain ne représente pas un risque, mais un potentiel. Cela nécessite un accompagnement, ce qui n'est pas toujours simple. Les RH ont un rôle fondamental à jouer dans ce processus. Beaucoup de professionnels des ressources humaines que je rencontre ont déjà commencé à s'engager dans cette voie avec une préoccupation humaniste. En réalité, la plupart d'entre eux souhaitent ardemment que chacun puisse assumer sa singularité, être lui-même et s'épanouir. La véritable question reste de savoir comment le système pourra évoluer suffisamment rapidement pour permettre cela.
Chez Axa Climate, nous parlons d' « autonomie contributrice ». Cela signifie que l'autonomie ne repose pas simplement sur le fait de faire quelque chose qui nous arrange, ni sur une obligation d'exécution d'une tâche imposée, mais plutôt sur une compréhension claire de notre contribution à un écosystème plus vaste. C'est cette prise de conscience qui pousse les collaborateurs à agir. Cependant, cela exige un éveil de conscience et une maturité de la part des collaborateurs, ce qui n'est pas toujours évident et prend du temps. Personnellement, il m'a fallu 3 à 4 ans pour comprendre comment je pouvais servir Axa Climate, et je ne vais pas reprocher aux collaborateurs de ne pas parvenir à cette compréhension dès le départ. Il est vrai que, dans notre époque actuelle,
le réflexe dominant reste souvent un réflexe individualiste.

Cette approche Lean m'a réconcilié avec l'idée qu'il est essentiel d'assumer ses expertises et d'apprendre de quelqu'un, à condition que l'organisation ne soit pas inhibante. 

Quels conseils donnerais-tu aux dirigeants qui souhaitent accompagner une transformation de leurs modèles ?

Y a t'il des leçons apprises que tu aimerais partager ?

Je pense que j'ai commis l'erreur de croire que l'expertise équivalait à l'autoritarisme. J'ai déconstruit, peut-être un peu trop radicalement, le modèle de management. Ce n'est que récemment que j'ai compris qu'il est possible de transmettre une expertise sans recourir à l'autoritarisme ni au micro-
management. J'ai ainsi découvert le système Lean, non pas celui qui a été déformé par les Anglo-Saxons pour devenir une méthode d'optimisation des flux, mais le Lean original de Toyota, qui repose sur une vision humaniste. Ce modèle affirme qu'une personne doit apprendre et travailler en même temps, tout en réfléchissant simultanément à ses actions. Cette approche Lean m'a réconcilié avec l'idée qu'il est essentiel d'assumer ses expertises et d'apprendre de quelqu'un, à condition que l'organisation ne soit pas inhibante. Je souhaite partager cela parce qu'une de mes erreurs a été de penser que je n’avais pas besoin d’apprendre d'autres PDG. Récemment, j'ai réalisé qu'il était crucial d'approfondir mes fondamentaux pour être un bon PDG.
Cela passe par la réflexion sur ce que signifie réellement être un leader, au-delà des aspects sympathiques, charismatiques, etc.
Chaque dirigeant doit se poser la question : de qui dois-je apprendre, ou quel livre peut m'aider à mieux comprendre ? C'est une interrogation que j'aurais aimé avoir à l'esprit plus tôt dans ma carrière.
Après, la question est la suivante : pour moi, mon rôle de dirigeant n'est pas de définir des objectifs de croissance spécifiques, comme 20%, 50% ou 40%. Ce sont les équipes qui décident elles-mêmes de ces objectifs. Ce qui est certain, c'est que ce ne sont pas ces chiffres qui constituent le point d'inflexion. Le véritable point d'inflexion réside dans la discussion autour des conditions indirectes, c'est-à-dire comment les équipes apprennent, comment elles interagissent avec les clients et comment on crée des effets de surprise pour atteindre nos objectifs.

Il est essentiel de ne pas figer le modèle, mais de le rendre flexible pour y parvenir de manière innovante. Si nous donnons à la fois l'objectif et le chemin pour y parvenir, comme « tu vendras tel produit à tel client », nous risquons d'échouer. Mon approche consiste donc à ouvrir un maximum de possibilités sur les moyens d'atteindre nos objectifs. Je fais le pari des effets induits, car ce qui peut sembler être une perte de temps à court terme, comme l'apprentissage, peut en réalité se traduire par un gain formidable à moyen terme. Cela nécessite un certain courage de la part du dirigeant d'accepter de laisser de l'espace et du temps pour l'apprentissage, car cela contribue finalement au succès du business. Cependant, si l'on reste coincé dans un mode de fonctionnement automatique, les choses deviennent compliquées. La croissance, quant à elle, est très positive lorsqu'elle a un impact bénéfique et qu'elle favorise
également le développement des parties prenantes de l'écosystème. Il n'y a pas de tabou autour de la croissance ; elle est souhaitable. Nous sommes ici pour croître, car la vie elle-même est un processus de croissance, ce n'est pas juste une idée.

Et si on se parlait du futur et des projets à venir : Axa Climate « augmentée » en quelques mots ?

Je pense qu'on a beaucoup de réflexions autour de la création d'AXA Climate en marge d'autres grandes entreprises. Nous avons sectorisé nos approches et créé des capacités d'adaptation pour divers secteurs, car c'est notre fonction : nous sommes systématiques. L'idée est de développer de grands partenariats avec des leaders de secteurs d'activité afin de verticaliser nos initiatives. Cela inclut la sectorisation de notre Climate School, de notre Butterfly, et de nos logiciels. Petit à petit, qui sait, nous pourrions créer un petit mycélium de petites entités AXA Climate, qui porteraient d'autres noms mais qui coopéreraient ensemble en partageant cette mission d'adaptation, notamment au niveau des territoires. L'objectif serait d'intégrer ces initiatives directement dans les entreprises avec lesquelles nous collaborons. Ainsi, il s'agit vraiment de créer et de multiplier nos efforts, non seulement au sein d'AXA, mais également au sein des entreprises que nous accompagnons.

Antoine  « augmenté » en quelques mots ? 

J’espère maitriser suffisamment mon travail de CEO pour pouvoir transmettre ce qu'est ce rôle à des personnes qui développeront d'autres activités, axées sur l'adaptation, dans d'autres entreprises. Pouvoir transmettre cela, c'est vraiment enrichissant.

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