Retour aux Insights

De l’impératif de réintégrer les sciences humaines, sociales et politiques dans l’entreprise

Sarah Bruzzese
23/12/2024
Interview
Emmanuelle DUEZ
Entrepreneure, The Boson Project – Bugali – Youth Forever
Dialogue avec des dirigeants à impact
 Un leadership où la vulnérabilité, la sensibilité et la fantaisie jouent un rôle central. 

 

Bonjour Emmanuelle, peux-tu en quelques mots te présenter, nous présenter la maison des Bosons et tes autres activités entrepreneuriales ?

Je suis une serial-entrepreneur en quête constante de nouveaux projets, de nouvelles sources d’engagement et de ce qui peut contribuer à faire bouger les lignes de notre société. J'ai fondé plusieurs structures, chacune portant une vision spécifique.

La première, The Boson Project, accompagne depuis plus de 12 ans les entreprises sur leurs enjeux humains. Nous sommes spécialisés dans la fabrique du changement organisationnel avec une méthodologie centrée sur la subsidiarité : redonner une partie du pouvoir et des responsabilités aux principaux concernés, les salariés. En plus de cette activité, The Boson Project est également un observatoire sur le futur des entreprises, du travail et de l'engagement.

J'ai également lancé il y a 5 ans une start-up appelée Bugali, une aventure entrepreneuriale hardware. Nous développons, fabriquons et commercialisons une console de lecture innovante qui rend les livres jeunesse tactiles, en made in France. L'objectif est d’offrir aux enfants une expérience immersive, en combinant le toucher avec des livres papier, le tout sans écran ni connexion Wi-Fi. Cette initiative vise à dépasser le conflit entre tradition et technologie, en tirant parti des meilleures innovations techniques pour enrichir l’expérience de lecture, tout en conservant la valeur du support papier. Cette aventure mobilise une formidable équipe pluridisciplinaire.

Enfin, pendant la pandémie, j'ai co-fondé une association nommée Youth Forever avec une douzaine d'entreprises. Cette structure se consacre à l'analyse de la génération climat, c'est-à-dire les jeunes de moins de 25 ans, et plus particulièrement ce qui conditionne leur engagement professionnel à une réelle utilité dans la transition environnementale. L'association a pour mission de favoriser un dialogue constructif entre un monde économique en pleine transformation et une jeunesse désireuse de s'engager, à condition de recevoir la formation nécessaire pour travailler sur des projets concrets et porteurs de sens.

Comment gères-tu ton temps entre toutes ces activités?

J’ai toujours été multi-casquettes. Aujourd’hui, je cumule peut-être un peu trop de rôles, mais c’est ainsi que je fonctionne le mieux. Depuis toujours, j’ai mené au moins deux activités professionnelles en parallèle, car cela correspond à la façon dont mon esprit s’épanouit.

Certaines personnes ont besoin de se focaliser sur une seule chose, mais d’autres, comme moi, ont besoin de jongler entre plusieurs projets pour renouveler constamment leur état d’esprit. Au cours d’une même journée, je peux jongler entre trois sujets complètement différents ou bien consacrer une journée, voire une semaine entière, à une thématique de fond. Ce mode de fonctionnement est exigeant. À cela s’ajoutent mon rôle de maman, le plus central, mon job d’administrateur et mon souci constant de préserver un équilibre.

Je ne vais pas mentir : c’est lourd, c’est extrêmement exigeant, et il y a des moments où j’ai envie de tout lâcher. Mais lorsque je prends du recul et regarde l’ensemble du chemin parcouru, je me rends compte que c’est exactement ce qu’il fallait faire. Ce mode de vie est en adéquation avec qui je suis et avec ce que je souhaite porter à travers mes engagements.

 

Je dirais que le travail est aujourd’hui une matière contrariée, toujours en mutation et loin d’être stabilisée. 

 

Deux ans après la crise sanitaire, j’ai envie de te poser une première question, comment va le monde du travail selon toi ?

C’est une question complexe, et ma réponse pourrait paraître atypique. Le monde du travail est dans une situation étrange. La pandémie, bien qu’éloignée dans le temps, reste très proche dans ses effets.Elle a bouleversé de nombreux aspects, accélérant des transformations déjà amorcées, notamment dans les approches managériales modernes. Mais elle a également amplifié certains phénomènes préoccupants : l’érosion de la qualité de l’engagement, l’individualisme sociétal qui s’est immiscé dans les entreprises, et l’effritement des collectifs.

Je vais peut-être être un peu provocante, mais ces évolutions se manifestent particulièrement en France, où les débats autour du revenu universel ou de la décentralisation du travail ont fait émerger de nouvelles tensions. Je dirais que le travail est aujourd’hui une matière contrariée, toujours en mutation et loin d’être stabilisée. Il est difficile d’en dresser une cartographie précise, mais certaines tendances marquantes émergent.

Nous observons qu’il y a plus de vie dans le travail, mais moins de travail dans la vie. Les entreprises peinent à aborder certains sujets de front.

De nombreux tabous persistent dans les organisations.Ces sujets, encore délicats à aborder, trouvent leurs racines dans les fractures amplifiées par la pandémie : le télétravail, l’individualisme, et les tensions sociétales. Ces facteurs ont un impact direct sur la performance, tant individuelle que collective, et sur la cohésion des équipes. Pourtant, il y a une réticence généralisée à aborder ces problématiques, ce qui, à terme, coûte cher aux entreprises.

Pourquoi ce silence persiste-t-il ? Je pense que les entreprises ont peur. Le travail a pris une place moins centrale dans la vie des gens, et affirmer aujourd’hui que l’engagement et la qualité du travail sont essentiels pour des organisations performantes peut être perçu comme une posture dépassée, brutale, voire capitaliste dans le sens archaïque du terme.

Le vrai problème, c’est que les entreprises craignent d’être perçues comme régressives, comme réactionnaires. 

 

Penses-tu que cette situation soit spécifique à la France ?

Oui, je pense que c’est une caractéristique très française, malheureusement. La France traverse une période de déclin sur plusieurs fronts, et elle est empêtrée dans ses contradictions, ses tabous, et ses paradoxes. L’entreprise, en tant que miroir de la société, ne fait pas exception. Elle agit comme un laboratoire qui absorbe des transformations sociétales profondes sans toujours savoir comment les gérer.

Cette difficulté d’adaptation a des répercussions directes sur la performance des organisations. Pourtant, nous n’osons pas le dire ouvertement. Pourquoi ? Parce que nous ne sommes pas certains que les principes du monde d’hier — où le travail était perçu comme un levier d’émancipation et l’engagement comme une source d’épanouissement — soient toujours pertinents pour le monde de demain.

Le vrai problème, c’est que les entreprises craignent d’être perçues comme régressives, comme réactionnaires. Ce mot est clé. Par peur de cette étiquette, elles évitent de formaliser les problématiques, préférant les laisser en suspens.

 

 Nous entrons dans une ère où la réflexion sur la « fabrication du changement » devient centrale, car les approches traditionnelles ne suffisent plus. 

 

L’extrême digitalisation de nos sociétés et le techno-solutionnisme imposent selon toi d’investir dans des gardes fous organisationnels et stratégiques, quels sont-ils ?

Les entreprises font face à des défis transformationnels majeurs, qu’il s’agisse de la transition technologique, de l’urgence environnementale ou encore de la redéfinition des modes de performance dans un contexte économique toujours plus compétitif. Ces enjeux conduisent inévitablement à une nécessité : transformer l’organisation. Cela signifie apprendre à communiquer un langage organisationnel clair pour expliquer les changements en cours, susciter l’envie de construire le monde de demain et mobiliser les équipes pour faire évoluer les structures actuelles.

Aujourd’hui, nous sommes à un moment où la prise de conscience de ces transformations est bien réelle. Dans les entreprises les plus avancées, des plans ont été élaborés. Mais il reste une grande inconnue :comment opérationnaliser des changements aussi radicaux, notamment dans des organisations de grande taille ? C’est une question qui reste largement ouverte. Nous entrons dans une ère où la réflexion sur la « fabrication du changement » devient centrale, car les approches traditionnelles ne suffisent plus.

En parallèle, le contexte global s’est profondément modifié. Avant la pandémie, nous vivions dans un monde où l’avenir semblait prévisible. Les cabinets de conseil pouvaient proposer des stratégies rationnelles, étayées par des projections claires, et les entreprises les exécutaient avec cohérence. Aujourd’hui, nous sommes dans un monde de permacrise, un enchevêtrement continu de transformations complexes. Le retour au monde d’hier est illusoire. Dans ce contexte, les entreprises ne peuvent plus simplement prédire l’avenir ; elles doivent le choisir.

 

Comment ce changement de paradigme influence-t-il le leadership ?

Ce basculement transforme profondément la manière de diriger. Les leaders d’aujourd’hui ne peuvent plus se contenter de suivre des plans préétablis. Ils doivent avoir des convictions fortes, le courage de les formuler et la capacité de les partager pour en faire le socle d’un véritable projet d’entreprise. Cela exige une vision claire et une capacité à mobiliser les équipes autour d’un idéal collectif.

Mais cette évolution pose aussi des questions éthiques essentielles. Les entreprises ne peuvent plus uniquement suivre les tendances ou se laisser guider par les attentes du marché. Elles doivent se demander : est-ce vraiment ce que nous voulons ? Nous entrons dans une période où il sera crucial de définir, non seulement les objectifs stratégiques, mais aussi l’idéal vers lequel chaque organisation souhaite tendre, que ce soit pour elle-même, son secteur ou la société dans son ensemble.

 

Les dirigeants doivent désormais faire des choix durables, non seulement pour garantir la pérennité de leur entreprise, mais aussi pour répondre aux attentes sociétales. 

 

Quels choix stratégiques devront être faits ?

Prenons par exemple la question du techno-solutionnisme. Les entreprises devront se demander jusqu’où elles sont prêtes à aller et quel type d’organisation elles veulent devenir. Est-ce une structure complètement déshumanisée ? Une organisation qui équilibre les atouts de la technologie et de l’humain ? Une entreprise qui valorise ses capitaux humains pour préserver l’excellence ? Ou une entité qui exploite à court terme, quitte à sacrifier l’avenir ?

Ces interrogations ne sont pas théoriques. Elles se posent déjà dans de nombreux secteurs. Dans la construction, on réfléchit à la manière d’innover tout en intégrant les impératifs environnementaux. Dans l’industrie de la montagne, les changements climatiques redéfinissent les modèles économiques, notamment pour les remontées mécaniques ou les stations de ski. Dans le commerce de détail, les questions touchent à la place du digital et à l’avenir des commerces physiques : faut-il miser sur une digitalisation totale et une livraison instantanée, ou bien préserver le rôle des commerces de proximité pour contribuer à l’aménagement des territoires ?

Ces exemples montrent que nous avons atteint les limites de la post-modernité. Les dirigeants doivent désormais faire des choix durables, non seulement pour garantir la pérennité de leur entreprise, mais aussi pour répondre aux attentes sociétales.

Et qu’en est-il des actionnaires ?

C’est une autre problématique majeure. Si les dirigeants disposent parfois des outils et de la vision nécessaires pour relever ces défis, on peut s’interroger sur la capacité des actionnaires à accompagner ces transformations. Ont-ils la même compréhension des enjeux ? Sont-ils prêts à soutenir des choix stratégiques audacieux et parfois coûteux ? Ce n’est pas encore évident.

Tu évoques la notion de choix et de conviction. Cela soulève une question importante : qu’est-ce qui est désirable dans les modèles économiques et organisationnels ? Est-ce une réflexion que les dirigeants se posent aujourd’hui ?

Pas encore, ou en tout cas pas tous. Certains dirigeants commencent à intégrer cette question, mais elle reste largement inexplorée. Et c’est compréhensible, car elle est vertigineuse. Elle touche à des dimensions presque régaliennes, dans un contexte où, en France, la sphère politique traverse une crise majeure. Cette faiblesse politique oblige les entreprises à se positionner sur des questions sociétales qui, jusqu’ici, relevaient davantage des États. Cela interpelle, car les entreprises, qui ne sont pas des démocraties, vont faire des choix structurants, des choix qui conditionneront notre vivre-ensemble de demain.

C’est une responsabilité écrasante, et elle est difficile à assumer, que ce soit pour les dirigeants ou pour les actionnaires. Pourquoi ? Parce que la complexité des enjeux dépasse souvent la capacité d’appréhension individuelle. Ces transitions majeures – qu’elles soient écologiques, technologiques ou sociales – exigent une vision systémique que peu de personnes, même au sommet des organisations, sont capables de mobiliser pleinement.

Il manque des méthodologies, des cadres et des outils pour aborder ces sujets avec la profondeur nécessaire. 

 

Tu parles d’un manque de moyens pour répondre à ces défis. Que veux-tu dire ?

Les outils pour gérer ces transformations n’existent tout simplement pas. Les gouvernances traditionnelles ne sont pas adaptées pour traiter de ces problématiques inédites. Nous sommes confrontés à des questions totalement nouvelles, issues de transitions fortes et accélérées. La politique est affaiblie, les entreprises sont sous pression, et cette conjonction crée un vide structurel : il manque des méthodologies, des cadres et des outils pour aborder ces sujets avec la profondeur nécessaire.

Jusqu’à présent, ces enjeux ne s’étaient pas posés de cette manière. Aujourd’hui, nous devons inventer une nouvelle façon de penser et de diriger pour répondre à ces défis.

 

L’IA effraie, autant qu’elle passionne, augmentant certains, dépossédant d’autres. Elle tiraille nos esprits entre cette quête de l’innovation et de la performance et celle de la radicalisation, des valeurs fondamentales et du sens. Comment construire cet équilibre entre sciences dures et sciences sociales ?

C’est une excellente question, car elle touche au cœur même des tensions actuelles dans le monde de l’entreprise. Les sciences sociales, à mon sens, doivent être envisagées comme un outil. Elles ne sont pas des sciences de la morale, ni des disciplines qui apportent des réponses figées, là où les sciences dures offrent des solutions techniques et ouvrent des opportunités concrètes. Les sciences sociales, appliquées au monde de l’entreprise, constituent avant tout une nouvelle manière de questionner les choses, de réfléchir différemment.

Cela dit, il faut nuancer cette idée de nouveauté. La sociologie des organisations, par exemple, existe depuis des décennies. Mais il est vrai qu’elle a été quelque peu mise de côté, car notre époque a souvent privilégié des approches plus simplifiées et opérationnelles. L’idée d’examiner une organisation comme un corps vivant, autonome, avec ses forces et ses fragilités, semblait moins attrayante ou utile. On préférait les plans, les PowerPoints, et l’idée de solutions toutes faites, plutôt que d’admettre l’existence de fractures ou de reconnaître que le changement est un processus complexe.

Pourtant, cette approche introspective est aujourd’hui plus pertinente que jamais. Les sciences sociales ne doivent pas être opposées aux sciences dures dans le contexte de l’entreprise. Je crois fermement qu’il faut réintégrer ces disciplines au plus haut niveau de gouvernance, dans les COMEX, les conseils d’administration, et les espaces stratégiques. Elles offrent des outils de réflexion puissants pour aborder des sujets complexes, qu’ils soient d’ordre philosophique ou éthique. Et face à des transformations de grande ampleur, les méthodes classiques atteignent leurs limites : le"y’a qu’à, faut qu’on" ne fonctionne plus, ni pour les Français, ni pour les salariés.

Ce qui compte, ce n’est pas tant de chercher des réponses définitives, mais de s’engager dans une posture d’ouverture, de questionnement. Les sciences humaines – la sociologie, la philosophie, la psychologie – mais aussi des approches comme le design, permettent d’explorer des chemins obliques, d’adopter des perspectives inédites dans un monde en perpétuelle crise.

Chaque entreprise, chaque dirigeant trouvera ses propres réponses en fonction de son contexte et de sa temporalité. Mais il est essentiel de sortir des approches classiques pour s’aventurer sur ces chemins obliques. Ces disciplines ne doivent pas être perçues comme un choc ou une opposition aux sciences dures, mais comme une complémentarité nécessaire.Aujourd’hui plus que jamais, elles peuvent être des leviers puissants pour réinventer l’entreprise et accompagner ses transformations.

 

Travailler pour ces modèles, c’est s’engager dans une forme de militantisme discret, une manière de contribuer activement à une société meilleure. 

 

Le sujet de la source de l’engagement est au cœur de tes réflexions : comment les sciences humaines et sociales peuvent nous permettre de mieux comprendre d’où vient cet engagement, comment on l’alimente et comment on le partage au sein d’un collectif ?

L’engagement est une quête essentielle, presque philosophale, que je poursuis depuis plus d’une décennie, avec la même fascination qu’un alchimiste pour sa pierre. Ce questionnement irrigue tout ce que je fais, à travers mes structures et mes projets. Si je devais synthétiser les leviers que j’ai observés et compris autour de cette thématique, ils s’articuleraient autour de quatre grands axes qui, à mon sens, nourrissent et structurent l’engagement.

Le premier levier réside dans la fraternité, ou plutôt dans la puissance des collectifs. L’engagement émerge souvent dans des contextes d’interdépendance, quand chaque individu est un maillon essentiel d’une chaîne qui le dépasse. Ce sentiment de responsabilité mutuelle, où l’on compte pour les autres autant qu’ils comptent pour nous, est un terreau fertile pour l’engagement. C’est la sensation d’appartenir à un groupe qui construit quelque chose ensemble, où chacun joue un rôle essentiel, qui forge cette motivation profonde.

Le deuxième pilier, que je qualifie de blason, est tout aussi puissant. Il s’agit de la fierté d’appartenance, ce sentiment de porter haut les valeurs et l’identité d’un collectif auquel on adhère. Cette dimension symbolique est essentielle : le blason donne du sens à l’action et crée un espace où l’individu trouve un écho à ses propres aspirations. En s’engageant dans une organisation ou une cause, on endosse un blason, et cela confère une noblesse et une direction à nos efforts. Ce n’est pas un mot anodin, car il traduit cette idée d’une appartenance valorisante et porteuse d’un projet partagé.

Le troisième élément que j’identifie, c’est l’émancipation à travers le travail. L’engagement s’épanouit dans les espaces où le travail devient un levier d’autonomie, de dépassement de soi et de découverte de ses propres limites. C’est cette liberté – la liberté d’apprendre, de progresser et de se révéler – qui nourrit une profonde satisfaction et alimente la motivation. Mais cette promesse d’émancipation ne peut être tenue qu’à travers des cadres clairs, des modèles managériaux fondés sur la confiance, la subsidiarité, et parfois une discipline nécessaire pour mesurer les accomplissements et les dépassements. Dans ce contexte, le travail cesse d’être un simple emploi pour devenir une voie d’épanouissement personnel.

Enfin, le quatrième levier de l’engagement, plus politique, s’ancre dans la promotion de modèles progressistes qui font avancer la société. Certains projets ou organisations, notamment dans des secteurs comme le soin ou l’accompagnement des vulnérabilités, portent en eux une vision transformante du monde. Travailler pour ces modèles, c’est s’engager dans une forme de militantisme discret, une manière de contribuer activement à une société meilleure. Cette dimension politique donne une signification supplémentaire au travail, en le positionnant comme un acte qui dépasse l’individu pour embrasser des idéaux collectifs.

En résumé, l’engagement s’appuie sur quatre grandes sources : la fraternité, ou la force des collectifs interdépendants ; le blason, cette fierté d’appartenir à une entité porteuse de valeurs fortes ;l’émancipation, ou la promesse d’une liberté conquise par le travail ; et enfin, le progressisme, ou la capacité à œuvrer pour des modèles qui transforment positivement la société. Ces dimensions résonnent particulièrement auprès des nouvelles générations, qui recherchent du sens et de la cohérence dans leurs engagements.

 

 C’est pourquoi je crois profondément au leadership comme clé de voûte des transformations. 

 

Quels conseils donnerais-tu aux dirigeants qui souhaitent accompagner une transformation de leurs modèles ? Y a-t-il des leçons apprises que tu aimerais partager ?

Je ne prétends pas détenir des leçons à transmettre, mais j’ai vécu des expériences qui, je pense, méritent d’être partagées car elles peuvent inviter à la réflexion. Voici quelques enseignements que j’ai tirés, des principes qui me guident et que je propose comme pistes de réflexion.

Le premier enseignement est que la solution vient toujours des hommes et des femmes.
C’est une évidence, mais elle est souvent oubliée : il n’existe pas de machine magique, ni de consultant omniscient qui puisse répondre à nos défis. La clé réside dans le courage des individus qui osent se mettre en mouvement. Les dirigeants, en particulier, ont une responsabilité immense : celle d’assumer leurs choix, d’oser poser les bonnes questions et de prendre des décisions, même imparfaites. C’est pourquoi je crois profondément au leadership comme clé de voûte des transformations. Mais pas n’importe quel leadership : je parle d’un leadership d’exception, incarné par des hommes et des femmes courageux, entourés de talents meilleurs qu’eux, engagés dans une dynamique coopérative du pouvoir. Un leadership où la vulnérabilité, la sensibilité et la fantaisie jouent un rôle central.

La vulnérabilité, d’abord, parce qu’elle est la condition de la puissance véritable. Accepter ses fragilités, c’est accepter d’être humain, et c’est seulement à partir de cette authenticité qu’on peut développer une force qui n’est pas un écran. La sensibilité, ensuite, parce qu’elle est indispensable pour percevoir les signaux faibles, comprendre les mutations et naviguer dans un monde complexe. Enfin, la fantaisie, car sans elle, il n’y a pas d’enthousiasme. Or, face à un avenir anxiogène, il faut savoir insuffler de la joie dans le quotidien, pour embarquer les équipes et leur rappeler que, malgré les défis, la vie professionnelle peut être une aventure passionnante.

Le deuxième enseignement, c’est que la transformation n’est pas une destination, mais un chemin.
Dans un monde en perpétuel mouvement, penser qu’on arrivera quelque part serait une erreur. La transformation est devenue une condition permanente pour les organisations. Cela nécessite une énergie considérable, une endurance à toute épreuve et, probablement, une rotation plus fréquente des dirigeants pour éviter l’usure. Ce chemin exige aussi une communication honnête, ancrée dans des convictions fortes et une vision claire. C’est un voyage fait de détours, de bifurcations, parfois de chaos, mais c’est le seul moyen d’avancer.

Ce processus impose un management agile, des équipes capables de remettre en question leurs certitudes et de s’adapter aux imprévus.Cela demande également un discours de vérité : les salariés et les parties prenantes doivent comprendre que cette transformation ne se termine jamais. Le défi consiste à construire une vision qui combine à la fois l’ambition à long terme et l’adaptabilité à court terme.

Enfin, le troisième point n’est pas un enseignement, mais un appel : l’avenir appartient aux audacieux.
Dans un monde où la responsabilité des entreprises ne cesse de croître, il ne suffit plus de se limiter à une vision minimale de ses devoirs. Il faut voir grand, prendre des risques et aller au-delà de ce qui est attendu. Les entreprises ont aujourd’hui l’opportunité – et la responsabilité – de jouer un rôle moteur dans la transformation de la société.

Certains exemples récents me donnent foi en cette vision. Prenons le cas de la Compagnie des Alpes, qui s’est engagée à réfléchir à l’avenir des montagnes, non seulement comme patrimoine naturel de l’humanité, mais aussi comme territoire de vie. Elle n’a pas attendu que d’autres le fassent : elle a initié la réflexion, l’a provoquée et l’a financée. Voilà ce que j’appelle une vision audacieuse, une prise de responsabilité à la hauteur des enjeux.

En somme, trois idées majeures émergent : tout part des hommes et des femmes, le chemin est aussi important que la destination, et il faut avoir le courage d’une vision ambitieuse. Ce sont ces trois leviers qui, selon moi, peuvent transformer les défis d’aujourd’hui en opportunités pour demain.

 

Qu’on réinvente l’entreprise avec une responsabilité élargie, capable de façonner un capitalisme plus performant parce que plus durable. 

 

Et si on se parlait du futur et des projets à venir :

Les bosons « augmentés » en quelques mots ?

La mission des Bosons, c’est d’éclairer des futurs souhaitables. Donner envie, redonner des raisons d’y croire, et surtout, fabriquer du changement : redonner aux organisations et aux individus le pouvoir d’agir. Pour moi, c’est cela le cœur du conseil de demain.

Et c’est un savoir-faire qui se raréfie. Parce que fabriquer du changement, ce n’est pas du simple « change management ». Les mots comptent. Manager le changement, c’est souvent s’arrêter à des process. Mais créer l’étincelle, faire en sorte que des transformations soient portées par des hommes et des femmes sur dix ans, c’est autre chose.

De quoi je rêve pour les Bosons ? Que leur rôle devienne une évidence. Pas forcément les Bosons comme entreprise, mais cette posture, cette démarche. Je rêve qu’en France, terre des Lumières, on se réapproprie cette réflexion. Qu’on réinvente l’entreprise avec une responsabilité élargie, capable de façonner un capitalisme plus performant parce que plus durable.

Cela passera par une réintroduction des sciences humaines dans les organisations. Et si on n’y parvient pas ici, en Europe, berceau de ces idées, je doute qu’on y arrive ailleurs. Voilà mon rêve pour les Bosons : être un catalyseur de cette transformation.

Avec Bugali, la vision est simple : éveiller les enfants du monde entier aux humanités, grâce aux livres. La ligne éditoriale repose sur trois axes : le rapport à soi, aux autres, et au monde. Je crois beaucoup aux enfants comme levier de transformation. Pas pour leur « tricoter » le cerveau, mais parce que les enfants sont ce qu’on a de plus précieux.

En éveillant les enfants, on réveille aussi les parents. Et c’est là toute la magie. Je rêve qu’un jour, au lieu de donner un iPad à un enfant pour avoir la paix en vacances, on lui offre un livre. Un livre qui l’émerveille autant qu’un écran. Qu’il touche, qu’il feuillette, qui l’éveille.

Un livre qui raconte Victor Hugo, qui évoque le son du fifre, et qui offre cette expérience dans plusieurs langues. Bugali, c’est une sorte d’éprouvette des merveilles d’aujourd’hui.

Youth Forever, c’est le futur du conseil. Parce qu’une fois les grands plans formalisés, il faut pouvoir transformer à l’échelle. Cela signifie parler le langage de l’organisation, accompagner les transformations sur le temps long, et surtout former ceux qui les porteront.

Pour moi, c’est ici que jeunesse et entreprise se rejoignent. C’est ici que l’on peut réconcilier une génération parfois désabusée par le travail et l’engagement. Cette génération qui, à 25 ans, hésite entre déserter, abandonner ou pratiquer le « quiet quitting ».

C’est ici que le rôle des entreprises devient fondamental : embarquer ces jeunes dans des aventures au long cours. Les réparer, oui, mais surtout les préparer. Leur donner confiance, et leur faire confiance.

Prenons un exemple : transformer un groupe comme L’Oréal est une tâche titanesque. Pour réussir, il faut former dès aujourd’hui la relève. Ces jeunes, ce sont eux qui, dans 15 ans, accompagneront cette transformation.

Voilà, pour moi, le futur. Ce n’est pas seulement le futur du conseil. C’est celui des entreprises : recréer un dialogue sincère avec les jeunes générations et les préparer à devenir la force motrice des transformations de demain.

En somme, les Bosons, Bugali et Youth Forever sont autant de chemins différents, mais convergents, pour fabriquer du changement. À travers l’éveil, l’accompagnement, et l’engagement, nous pouvons éclairer des futurs durables et porteurs de sens.

Emmanuelle « augmentée » en quelques mots ? 

Je souhaite simplement continuer à servir et à être utile, là où les Sociétés de demain se pensent, se construisent et se déploient.

Je ne sais pas encore où cela me mènera, mais c’est là que je veux être, c’est là que je dois être.

 

Posts similaires
Tous les posts