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Transformation culturelle et performance RH : Voyage au cœur de l'ESS

Sarah Bruzzese
17/6/2024
Interview
Lazare MARILLER
DRH, Fondation de France
Dialogue avec des dirigeants à impact
Notre objectif commun est de construire un monde plus apaisé, solidaire et durable. 

Bonjour Lazare, peux-tu en quelques mots nous présenter la Fondation de France et nous parler de toi ?

La Fondation de France a été créée à la fin des années 60 pour développer la philanthropie en France. Aujourd’hui, elle regroupe une communauté de 250 collaborateurs et 600 bénévoles qui œuvrent pour l'intérêt général. Notre réseau comprend également près 1 000 fondations abritées, et chaque année nous soutenons près de 12 000 projets dans tous les domaines de l’intérêt général : aide aux personnes vulnérables, santé et recherche médicale, culture et éducation, environnement et biodiversité. Sans oublier les urgences pour lesquelles la Fondation de France se mobilise, comme ce fut le cas en l’an dernier suite aux séismes enSyrie/Turquie et au Maroc... L’ambition qui sous-tend toutes les actions que nous menons est de contribuer à construire un monde plus apaisé, solidaire et durable.

En ce qui me concerne, je suis DRH, âgé de presque 43 ans et père d’une petite fille de six ans. Je suis arrivé à la Fondation il y a un peu plus de 10 ans, après un parcours dans le secteur privé lucratif (métallurgie, chimie, pharma, cabinet d’avocats). Un point commun réunit toute ces différentes expériences : une passion pour les ressources humaines. Je suis tous les jours stimulé par l’extrême diversité de notre métier : paie, relations sociales, relations humaines, recrutement, communication interne, développement de compétences … Travailler avec des gens sur ces différentes dimensions est un défi passionnant.

 

Il est crucial de ne pas opposer l'ESS et l'entreprise pour avancer dans la même direction.

 

Le secteur de l’ESS est souvent opposé au monde de l’entreprise en termes de profils et de méthodes managériales. Comment la Fondation de France se distingue-t-elle et comment garder le meilleur des deux mondes ?

Ce que j'espérais et qui s’est confirmé, c’est que le monde a changé : il y a de moins en moins de différence entre l'ESS et le secteur privé.

À la Fondation, nous avons recruté des collaborateurs issus du secteur privé lucratif pour favoriser la diversité des approches et des manières de penser/faire. Je pense que ce qui prend finalement plus de temps, c’est le chemin inverse, à savoir le retour dans le monde privé lucratif de collaborateurs qui font valoir leur expérience ou leur parcours dans l'ESS. La crise COVID et le développement des entreprises à mission ont surement favorisé les mobilités entre ces différents secteurs.

En termes de management, nous avons réfléchi à la définition (son rôle, ses missions) du manager à la Fondation, avec les managers. Pour que chacun puisse être acteur, nous avons aussi constitué des équipes de volontaires en 2018, d’une quinzaine de collaborateurs qui ont pendant 6 mois, au-delà de leurs activités classiques, réfléchi et fait des propositions aussi bien sur les priorités stratégiques de la Fondation de France, que sur nos modes de fonctionnement et de collaboration.

 

La crise sanitaire a-t-elle modifié l’attractivité des structures à impact ? Comment la Fondation de France se transforme-t-elle pour attirer et retenir les talents ?

La crise sanitaire, en interne, a finalement été gérée de façon assez naturelle. Nous avions déjà engagé, expérimenté de nouvelles méthodes et outils pour permettre à nos collaborateurs de télétravailler et d’assurer la continuité de notre activité.

Ce qui a fondamentalement marqué cette période, ce sont les alliances mises en œuvre pour lutter ensemble contre le virus. La Fondation de France a initié une alliance avec l’Institut Pasteur et la Fondation AP-HP intitulée « Tous unis contre le virus » qui a suscité une très forte mobilisation : des individus seuls ou au travers d’associations, des entreprises, des collectifs, … la générosité s’est exprimée.

Pour nous, ce fut aussi un moment clef pour faire évoluer le rôle de la Fondation de France : nous ne sommes pas là pour dire quoi faire mais pour accompagner les acteurs qui souhaitent se mobiliser, pour les aider à agir ou trouver les meilleures manières d'agir ensemble. Cela a changé la posture de la Fondation de France vis-à-vis de ces acteurs.

Dans ces situations, il est également important de garantir la cohérence entre ce qui se vit dehors et ce qui se vit dedans. Nous avons ainsi été particulièrement vigilants à la qualité du dialogue, nous avons développé les outils de communication interne pour faciliter l’écoute et le partage d’informations.

Concernant la politique des ressources humaines, nous avons priorisé l’autonomie et la capacité à prendre des responsabilités des collaborateurs.

Cela s’est aussi concrétisé avec le développement de la mobilité interne et la promotion interne qui ne se font pas uniquement dans le cadre d’évolutions de l'organisation, mais de manière plus régulière.

Un deuxième point clef pour moi, c’est d’accompagner le collaborateur dans son employabilité dans et en dehors de la Fondation de France. Certains collaborateurs peuvent enrichir leurs expériences dans d’autres organisations avec la perspective de revenir par la suite à la Fondation de France. Laisser cette possibilité ouverte, c’est une belle richesse pour les collaborateurs comme pour la Fondation de France. C'est une forme de mobilité, et une belle façon de créer des liens durables avec nos collaborateurs.

La rémunération constitue aussi un des éléments du package. Des écarts existent au sein de l’ESS compte tenu de la diversité d’organisations qui la compose, mais les études montrent que les écarts avec le secteur lucratif restent importants.

L’épargne salariale est aussi un outil intéressant pour fidéliser les collaborateurs et proposer une épargne cohérente avec la politique RSE.

 

Quels sont les objectifs et étapes de la transformation organisationnelle et culturelle de la Fondation de France ?

Des grandes ambitions et beaucoup d'humilité au quotidien.

A mon arrivée à la Fondation, le plan stratégique était un document très littéraire, qui décrivait précisément et pour les différentes équipes les perspectives d'évolution et de développement envisagées.

Sur la forme comme sur le fond, notre « Projet de Fondation » actuel a été élaboré de manière très participative et collective par l’ensemble des équipes de la Fondation en 2017-2018.

Les grandes orientations stratégiques ont été reposées l’année dernière puis « dessinées » en live par le comité de direction devant l’ensemble des équipes, pour montrer que tout n’est pas défini, que la vision se construit ensemble.

Cette esquisse, affichée aux yeux de tous les collaborateurs, représente un cadre dans lequel chacun peut agir. Nous avions choisi cette forme de communication pour signifier que notre Projet était agile, ouvert, évolutif, et favoriser son appropriation par les équipes.  C’est aussi une façon d’impulser un changement de posture et de style de management au sein de la Fondation, d’incarner la volonté de faire ensemble, de tester, de se tromper.

L’idée n’est bien sûr pas de tourner le dos à notre image de structure solide dans laquelle on peut avoir confiance, mais d’y ajouter de la joie, du plaisir, de l'épanouissement, des sourires et pas uniquement la satisfaction du travail bien fait, même si c'est une nécessité.

 

 Nous voulons voir des sourires plutôt que des visages trop sérieux, et mesurer la qualité du travail réalisé à la quantité de ces sourires dans notre quotidien. 

Comment mesurez-vous le succès de votre projet et son impact sur l’attractivité et la rétention des collaborateurs, ainsi que sur la diversité et l’inclusion ?

Les sujets de diversité et d'inclusion, ainsi que d'égalité femme-homme ont toujours été présents dans nos missions sociales, mais nous n’avions pas posé d’ambitions claires et définies les concernant.

Avec le CODIR et l’ensemble des équipes, nous avons défini des ambitions pour le développement de la diversité et de l'acceptation de chacune et chacun. Un programme d’action dédié leur est aussi consacré dans nos missions sociales. Il est très important dans ce domaine d’être totalement cohérent, entre les messages que l’on porte à l’extérieur et les principes d’actions qui guident nos modes de fonctionnement.

 

Déléguer les décisions à des managers capables renforce l’engagement et l’efficacité de notre organisation. 

 

Comment le travail entre la direction générale et la direction RH sert-il le collectif ?

Dans une grande équipe de 250 personnes et de 600 bénévoles, la réussite et le travail s’entendent du point de vue du collectif.  Pour moi, la qualité de la relation DRH et DG est cruciale et les échanges avec l’ensemble des managers sont indispensables pour bien faire mon travail au quotidien et m'assurer que la transformation se fait en même temps à tous les niveaux de l’organisation.

Avec Axelle Davezac, en l'occurrence, nous arrivons souvent aux mêmes conclusions mais avec des chemins de pensée complètement différents. Je trouve cela dans un sens aussi rassurant, car nos approches sont complémentaires, nos lectures parfois différentes, mais nous nous retrouvons au même endroit. C'est une façon de se dire aussi qu’il n’ya pas une seule bonne manière d'atteindre nos objectifs.

Nous portons une grande attention au collectif. Y compris au collectif que représente le comité de direction, composé de personnalités différentes, qui s’entraident et se soutiennent si l’une est en difficulté.

A la Fondation de France, nous incitons à toujours plus de transversalité. Plus les liens que nous tissons entre nous et avec les parties prenantes de la Fondation sont forts, plus les transformations engagées sont solides, efficaces et durables.

A titre personnel, j’ai appris à mieux et plus déléguer la prise de décisions. Beaucoup de décisions ne relèvent pas du champ de compétence du DRH. Déléguer les décisions à des managers, « en capacité », renforce l’engagement et l’efficacité de l’organisation. Mon rôle est de m'assurer de leur donner accès aux bonnes personnes et aux bons éléments pour leur permettre de prendre en toute confiance et sérénité leurs décisions.

Cette délégation de pouvoir, c’est une vraie force, 3 managers peuvent engager davantage de moyens que moi seul. Le tout est de trouver les bons modes de collaboration et de gouvernance par rapport à l’objectif poursuivi.

La communication sur la raison d’être de la Fondation suffit-elle à promouvoir la marque employeur ? Envisagez-vous de lui donner plus de poids ?

Il y a quelques années, peu de gens au sein de la Fondation de France prenaient la parole sur les réseaux sociaux par exemple. Nous voulons qu’ils puissent parler de la Fondation et d’eux-mêmes plus naturellement, plus spontanément. Nous avons travaillé avec l’équipe de la Communication pour aider à trouver les bons mots et les meilleurs espaces pour raconter leur expérience.

Cette stratégie ambassadeurs s’inscrit bien sûr dans une logique de volontariat.

Notre rôle est de donner le maximum d’éléments, de repères, pour que chacun raconte sa Fondation de France, sa vision de son action, son expérience... cela donne beaucoup de crédibilité à une organisation, et donne d’elle l’image d’un collectif vivant, engagé. Les témoignages spontanés et authentiques sont les plus marquants et créent un lien émotionnel fort.
Nous encourageons cette liberté d’expression, mais parfois, certaines personnes sont effrayées par cette liberté et ont besoin d’être accompagnées pour se sentir vraiment libres.

 

Comment créer davantage de lien entre le monde de l’entreprise et celui de l’ESS ?

Pour créer des liens, il faut des lieux de rencontre et de collaboration. Nos nouveaux locaux doivent favoriser les échanges et les actions communes. Le fait d'avoir un lieu pensé pour cela, c'est une manière pour moi de rendre ça plus palpable, plus concret, plus visible, plus perceptible.

L’une des compétences de la Fondation, c’est de mettre en relations, de faire travailler ensemble des gens qui sont parfois en désaccord sur de nombreux sujets.

L’ambition est d’ouvrir des espaces physiques ou digitaux dans lesquels on va pouvoir travailler ensemble, faire des choses ensemble pour avoir un impact plus conséquent sur la société.

Nous souhaitons également développer les relations avec les associations pour travailler ensemble sur des projets à fort impact.


La Fondation de France « augmentée » en trois mots, ce serait quoi ? Et Lazare «augmenté » ?

La réponse courte et facile serait de dire : ce que nous construisons maintenant !

Plus concrètement, en interne, cela serait sûrement des liens hiérarchiques moins visibles, moins prégnants, davantage de transversalité, de spontanéité. C'est aussi pour moi une Fondation encore plus visible à l’externe, on parlait notamment de la marque employeur.

Plus largement, la Fondation, c’est aussi une communauté, un écosystème qui grandit, de fondations abritées, d’associations, de collaborateurs et de bénévoles qui se mobilisent au quotidien.

Lazare augmenté, je peux dire c’est 4 centimètres de plus et 4 kilos de trop. Plus sérieusement, je ne sais pas finalement si je veux être un Lazare augmenté, par volonté d’alignement et dans une logique de sobriété dans un monde qui lui aspire à toujours plus. Je suis plutôt dans l’idée d’expérimenter de nouvelles coopérations, d’imaginer des lieux propices à l’action ou de trouver toujours des moyens d’innover dans la manière de faire mon travail. Je ne cherche pas à faire plus mais à faire différemment et idéalement, mieux.  

 

 

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